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La Marguerite Duras de Jean-Marie Patte

LE MONDE | 26.01.05 | 14h50

Jean-Marie Patte met en scène deux textes de Marguerite Duras, Ecrire et Roma, qui sont réunis dans le même livre de poche de la collection "Folio". Le premier est situé dans la maison de Marguerite Duras à Neauphle, dans les Yvelines ; le second sur une terrasse d'hôtel de la piazza Navona.

"Cette maison de Neauphle-le-Château, je l'ai achetée avec les droits de cinéma de mon livre Un barrage contre le Pacifique, écrit Marguerite Duras. Elle m'appartenait, elle était à mon nom. Cet achat a précédé la folie de l'écriture. Cette espèce de volcan. Je pense que cette maison y est pour beaucoup. Elle me consolait, la maison, de toutes mes peines d'enfant." Elle y a achevé deux de ses livres auxquels elle est le plus attachée, Le Ravissement de Lol V. Stein et Le Vice-Consul, qui sont de 1964 et 1965.

"J'étais embarquée dans le travail le plus difficile de ma vie : mon amant de Lahore, écrire sa vie. J'ai dû mettre trois ans à le faire, ce livre-là." Dans Ecrire, Marguerite Duras, revenant à ces jours passés, raconte l'imagination créatrice du romancier, cet "état de douleur sans souffrance". Il y a une incertitude, une précarité, une hésitation dans ce qu'elle dit. Elle n'affirme pas, elle hasarde, mais sachant ce qu'elle veut. Elle aura mis le doigt sur l'instant décisif, sur l'éclair de conscience. Chez elle, l'écriture est vraie et fragile comme la vie même, elle va et vient comme le scripteur de l'encéphalogramme. La conscience va vite ; les arbres du jardin de Neauphle recoupent ceux de la route de l'école, pas loin de Saïgon.

Roma est pour Marguerite Duras la transparence de deux images, celle des fontaines de la piazza Navona et celle de la reine de Césarée, Bérénice, qu'elle ne nomme pas. Elle l'avait déjà raconté dans le texte titré Césarée. "Elle était très jeune, dix-huit ans, trente ans, deux mille ans ; il l'a emmenée. Répudiée pour raison d'Etat." "Il l'avait fait captive au lieu de la tuer." Et, chez Duras, cette reine de Samarie est avant tout l'écho de Jérusalem. "La reine des juifs, emmenée en exil sur le vaisseau romain", hante la Duras de l'Italie, comme Jérusalem, le lac de Tibériade et la Galilée. C'est la Duras du génocide, qui ne peut pas oublier les camps, où qu'elle soit.

Jean-Marie Patte met en scène ces deux grands textes, Ecrire et Roma, dans le très grand espace d'un des anciens ateliers Berthier, porte de Clichy. Il a vidé cet espace, qui n'est qu'une nuit un peu claire. Il y a là quelques chaises, au loin, c'est tout. Dans le noir, quelques lignes verticales ont un aspect de colonnes. "Alors l'ombre glisse et s'amasse aux pieds des colonnes, elle s'entasse, se durcit, et pendant un certain moment, la chose est sans ombre aucune. Comme transparente, vous voyez ?", écrit Marguerite Duras dans un autre texte, Le Navire Night. C'est l'infini du désert, à fond de cale, un lieu pur où Jean-Marie Patte peut faire dire ses acteurs avec la plus entière rigueur, les silences les plus justes ("Le silence est tel qu'il redevient celui de la campagne"). Astrid Bas dit Ecrire, Anthony Paliotti dit Roma, c'est parfait.

Michel Cournot